Cathy, Professeure de Yoga intégral

Journal d’une nomade #4 Ma première communauté

Lors de mon passage à l’Oasis du Mazet, j’ai été ébahie par les effets transformateurs de la bienveillance, de la communication non violente et de l’acceptation de l’autre tel qu’il est. Ces notions ont été en partie puisées à la communauté de l’Arche de Saint Antoine dans l’Isère, où deux des quatres fondateurs y ont passé plusieurs années. 

Je sens que cet endroit nous appelle, je propose donc à ma fille de faire un stage communautaire à l’Arche de Saint Antoine, en espérant qu’elle accepte cette expérience hors norme et totalement à l’encontre de ses habitudes de solitude. En effet, Sarina fait partie de ces jeunes gens plutôt habitués à rester allongée sur son lit derrière un écran, qu’au contact de vrais êtres humains. Avançant donc sur la pointe des pieds pour ne pas l’effrayer, je réussis miraculeusement à négocier 15 jours d’immersion pour commencer. 

Voyager avec mon véhicule est déjà une aventure en soi. Son confort rudimentaire, ses multiples bruits et grincements, son espace réduit et son manque de rapidité nous obligent à éviter les autoroutes. C’est donc sur de magnifiques nationales et départementales verdoyantes que nous cheminons, accompagnées du chant des oiseaux et des grincements de Trangoulette. J’ai l’impression de voir défiler devant moi les routes que j’empruntais lorsque, enfant, mon père au volant, nous traversions la France dans un joyeux et néanmoins très long périple Strasbourg-Corrèze. Quel bonheur de quitter les autoroutes et de visiter enfin notre belle France, la Dordogne et sa nature généreuse, l’Auvergne et ses volcans impressionnants, où nous passons une nuit fraîche. Sarina et moi revoyons la géographie en 3D !  

Après 2 jours de voyage, plus tortue que lièvre, nous arrivons enfin dans le Vercors, encore un paysage à couper le souffle. Devant tant de beauté, ma fille me dit alors qu’elle aime la campagne et c’est en soi une première transformation pour cette jeune fille qui disait détester cela jusqu’à présent. 

Nous arrivons à 17h pour la visite des lieux et l’enregistrement. Nous croisons de temps en temps un visage qui nous sourit, sans nous connaître ni nous aborder. Puis nous finissons par trouver un petit groupe de gens comme nous, dans l’attente de la visite d’accueil. Nous sommes alors 7 nouveaux stagiaires ce jour-là, un couple, 3 hommes seuls, ma fille et moi. Tous en quête de sens pour des raisons différentes. Nous partageons pourtant ce point commun que nous recherchons plus d’humanité et de douceur dans cette société. 

Je n’ai pas d’attente, si ce n’est de m’ouvrir à une nouvelle expérience et peut-être d’apporter des réponses à ma fille qui rejette la vie qui lui est offerte. 

La visite de cette immense bâtisse, ses jardins, ses lieux communs, sa laverie, sa structure construite autour de 2 activités principales, la communauté et l’hôtellerie, se fait en 20 minutes, puis l’on nous conduit à nos chambres. Je regarde alors autour de moi et je suis impressionnée par le gigantisme des couloirs, des plafonds, des escaliers, par des fresques et des phrases inspirantes dessinées sur les murs, par la pierre révélée sous les crépis retirés à certains endroits, comme autant de décorations misent en avant. L’énergie est douce et chaleureuse, dans cet ancien internat de l’abbaye de Saint Antoine.  

Un des jardins de l’Arche lors de la fête de la Saint Jean

3 types de stages communautaires sont présents en ce lieu et chaque statut à son étage dans ce bâtiment. Nous commençons donc par un dortoir de 3 personnes qui vit au rythme des nouvelles inscriptions. Nous connaîtrons alors 2 colocataires différentes en 2 semaines.  

Lorsque je découvre mon lit, l’être humain que je suis, le passe à la moulinette de mes jugements. Je l’évalue inconsciemment, trop petit, trop dur, pas assez d’intimité, trop exposé et j’en passe. Puis, tellement rapidement mon corps et mon mental s’adaptent. Ce lit devient alors parfait, son inclinaison, sa position stratégique entre les 2 autres, sa vue sur l’abbaye de Saint Antoine me transporte vers des rêves historiques chaque nuit.  

Nous sommes des êtres d’adaptation et c’est en sortant de notre zone de confort que nous redécouvrons cette immense faculté. En tout temps les êtres humains se sont adaptés à leur environnement, aux virus, aux changements de climat, aux progrès technologiques mais le confort et les habitudes dans lesquels nous préférons rester (souvent par peur du changement) nous font oublier cette capacité intrinsèque de l’être humain. Et c’est ça que j’aime expérimenter dans la vie. J’aime cette peau de caméléon qui change de couleur dans son nouvel environnement. J’aime chercher en moi des ressources, souvent inconnues, qui viennent s’ajouter à mon arc et je me sens en gratitude devant ces révélations humaines. 

Le programme du séjour est distribué. Un timing précis, une petite cloche qui retentit pour nous rappeler les changements importants de la journée et c’est parti, nous sommes des stagiaires communautaires ! Youhou ! 

Voici donc une journée type, telle que je l’ai connue. 

A 8h, la journée commence avec la possibilité de méditer dans la chapelle, mais je choisis de garder ce moment pour prendre mon petit déjeuner, préférant me rendre très tôt à l’Espace Gandhi pour reprendre de bonnes habitudes quotidiennes de pratiques de yoga et de méditation. 

A 8h15, ceux qui le souhaitent se rendent dans une salle ou dans le jardin, selon le climat, afin de commencer la journée par une salutation de paix. En tant que professeur de yoga j’étais intriguée par cette “salutation”. Un matin, je décide de m’aventurer vers cette salle encore inconnue.  

Dans le silence, chaque participant qui rejoint le groupe se place à côté du participant précédent, formant ainsi une ligne. Puis, le maître ou la maîtresse de cérémonie, se place devant cette ligne et souhaite à chacun une journée pleine de paix. C’est alors qu’une sorte de ballet se met en place, où chacun à son tour se présente devant le participant de droite. Les yeux dans les yeux, les mains jointes devant le cœur, nous prononçons “je te souhaite la paix”.  

3 minutes suffisent à poser les bases de cette intention pure et pleine d’amour. 3 minutes pour créer une dynamique de paix les uns envers les autres. 3 minutes pour se parler d’âme à âme, simplement. 

Tous les jours de 8h30 à 9h30, nous nous rendons tous à la cuisine pour les ‘pluches’, un tablier et une charlotte sur la tête. D’énormes bassines dansent sur les tables en inox de cette grande cuisine et la farandoles de légumes passe entre les mains plus ou moins expertes des stagiaires afin de se faire éplucher, couper, râper, laver, frotter… en vue de la préparation des 2 principaux repas de la journée.  

Cette heure passée ensemble est un moment de partage, d’échanges, de bavardages un peu bruyants parfois, de rigolades aussi. La cuisine est végétarienne ici et je découvre tout un panel de recettes excellentes que j’ai envie de recréer dans mon chez moi. J’observe Sarina, qui s’adonne à cette activité, sans rechigner, à son rythme, tout en lenteur donc. Je crains que quelqu’un ne lui fasse une réflexion mais personne ne semble remarquer cela…  

Soudain à 9h, un tintement léger change l’énergie du lieu. Tout le monde dépose son couteau, sa carotte ou éteint l’eau du robinet et nous plongeons chacun dans notre espace intérieur pendant 1 minute. Tout ce joyeux vacarme s’arrête tout net pour laisser place au silence de l’instant présent. C’est étonnant et tellement agréable à la fois. 1 minute plus tard, comme si de rien n’était, le cours des pluches reprend, avec plus de conscience cette fois. Plusieurs fois dans la journée, même sur le terrain en pleine nature, nous pratiquons cette minute de recentrage. Cette pratique toute simple, durant laquelle nous arrêtons toute activité, permet de cultiver la conscience de l’instant présent, d’où découle la paix intérieure. Je nage comme un poisson dans l’eau dans cet endroit plein de surprises. 

A 10h, nous nous retrouvons tous à la salle à manger pour la distribution des activités communautaires. Il y a ceux qui ont des besoins et ceux qui vont les aider. Certains ont besoin de 2 personnes pour le maraîchage, 1 personne pour le compost, 3 costauds pour déplacer une grosse armoire, 1 personne pour le linge de l’hôtellerie… Bref, les besoins sont identifiés et chacun décide du poste où il souhaite passer les 2 prochaines heures. Ainsi, entre découverte et centres d’intérêt, tout le monde “travaille’’ avec joie et décontraction. C’est merveilleux de décider de ce que l’on va faire dans la journée, de ce que l’on souhaite apprendre et de considérer le travail sous un angle d’entraide et d’enrichissement personnel. Sarina qui n’a jamais voulu travailler, s’adapte avec joie à ce nouveau planning pourtant bien chargé. Je suis époustouflée !  

A 12h15, nous déjeunons tous ensemble dans la salle à manger mais chacun est libre de décider où il souhaite prendre son repas. A cette occasion, nos papilles sont réjouies car les chefs cuistots sont imaginatifs et transforment la cuisine végétarienne en un véritable festin. La balance en atteste et tout le monde devient un peu plus grassouillet par ici :))) 

Buffet végétarien lors de la fête de la Saint Jean

Après le repas, chacun vaque à ses occupations ou simplement à la sieste réparatrice et bien méritée, même moi je m’y suis mise ! Les activités sont physiques et intenses pour le corps. Nous passons beaucoup de temps sur le terrain à cultiver, désherber, récolter, cueillir les roses ou d’autres fleurs pour en faire des beigners, semer, composter. Ici 70 % de la consommation est en autosuffisance. Travailler la terre est une activité qui ancre et permet de développer une profonde sensation de sécurité, de confiance en soi et d’amour du vivant. 

A 14h45, c’est la redistribution des besoins, selon le même fonctionnement que le matin. Je constate que même en cette journée de travail, tout ce petit monde se meut librement. Personne n’a d’ascendant et ne se transforme en “chef”. Les conseils sont donnés, les enseignements sont partagés et de manière très naturelle, chacun œuvre à la hauteur de ses possibilités physiques, mentales, émotionnelles. Ainsi si j’ai besoin de faire une pause, je la fais car cela signifiera que j’en ai besoin, tout simplement. 

A 18h, c’est la fin des activités communautaires et chacun fait ce qu’il souhaite. 

Puis à 19h, nous dînons ensemble ou pas.  

C’est alors que commence une vie nocturne pour les plus jeunes ou les plus fêtards qui se rendent au Club, un espace caché à l’intérieur de l’Arche qui avait pour première vocation de permettre aux jeunes communautaires de s’éclater tout en restant en sécurité. Aujourd’hui ce lieu est marqué de graff, de messages, de dessins créés par la multitudes de soirées fêtées à la lumière de la nuit. Un babyfoot, des énormes enceintes, des canapés et fauteuils usés pour les fêtards tout aussi fatigués, accueillent les soirées où tout ce qui se passe ici, reste ici. Je trouve ce lieu rassurant car il montre un aspect réel et tolérant qui prouve que l’Arche est multiple et ouverte. 

Le rythme cadencé des journées crée une sensation très sécurisante, avec une certaine prise en charge des contraintes dans un cadre toujours bienveillant.  

Mon plus gros défi dans ce lieu a été de déconstruire mes automatismes de maman.  

Je me suis surprise à réprimander ma fille parce qu’elle n’était pas assez rapide où qu’elle n’appliquait pas les explications de certaines activités. C’est un trésor d’être en conscience et de ne pas chercher à se mentir à soi-même en prétendant être parfait. Non, je ne suis pas une maman parfaite. Je cherche à être authentique et juste avec mes enfants et moi-même et c’est déjà énorme. Il m’a fallu affronter mes petits travers et mes jugements intérieurs (et parfois extérieurs) concernant Sarina. J’ai beaucoup grandi en acceptant que Sarina soit simplement comme elle souhaite être, même si elle ne correspond pas toujours à l’enfant que j’aurais aimé qu’elle soit. C’est en posant un regard beaucoup plus neutre, sans cette projection de la maman sur sa fille, que j’ai délivré ma fille de mes attentes et par la même occasion, que je me suis délivrée aussi. C’est un très beau cadeau que je nous ai permis, celui d’être chacune comme nous le souhaitons, dans notre juste présence. 

Dans ce lieu plein de magie, j’ai rencontré des êtres atypiques, comme Sarina et moi. Ici, plus personne ne cherche à ressembler à tout le monde mais sait simplement que sa singularité est acceptée et contribue à la force du groupe. J’ai passé des moments de communion, de prière même, de partage, de chant, de danse, de méditation zazen, de covoiturage vers les cascades vertes et blanches du Vercors. J’ai noué des amitiés, j’ai pleuré en ouvrant mon cœur.  

J’ai compris une chose essentielle, j’aime la vie en communauté. J’aime donner de mon temps pour un projet commun, car c’est en donnant de ce temps que l’on fait un cadeau à tous et que l’on en reçoit. Une communauté c’est comme un bateau où chaque rame compte, où le rythme commun devient comme une seule et même respiration qui nous nourrit. 

Je suis restée 20 jours et comme lorsqu’une colo s’achève, je suis partie de ce lieu en ayant l’impression de quitter mes frères et mes sœurs. J’ai gardé le contact avec certains, que je reverrai peut-être, je l’espère. 

Sarina s’est révélée, s’est amusée, s’est épanouie. Elle a surtout compris que sa couleur originale pouvait exister en ce lieu. Elle a souhaité rester et prolonger l’expérience. Je continue donc ma route de nomade seule. 

Lorsqu’il a été question que finalement Sarina m’accompagne dans mon aventure nomade au lieu d’aller s’installer à Strasbourg, j’ai senti des résistances car j’avais intégré que je ferai ce voyage seule. J’ai pesté un peu et puis j’ai compris que ce n’était par hasard qu’elle se joigne à moi. Pourtant je n’avais aucune idée de ce qui se passerait. 

C’est en lâchant prise sur sa présence que le chemin nous a guidé vers le lieu où elle se sent comme à la maison.  

C’est en lâchant prise que je me suis permise de réajuster mon regard sur ce qui elle est.  

Merci pour ces précieux cadeaux. Merci pour cette leçon de vie, une fois encore. 

La vie nous guide, prenons-là comme elle se présente. 

A bientôt pour la suite de l’aventure ! 

Cathy 

Si vous souhaitez suivre mon aventure nomade, rejoignez ma chaine Youtube : Les Pionniers du Nouveau Monde. La petite cloche et le pouce bleu pour mettre les algorithmes dans notre poche et c’est parti pour la découverte !

Laisser un commentaire